mercredi 1 mai 2013

L'Ultimatum des 3 mercenaires : d'une étonnante modernité !


En salles : Il va falloir s'y faire : aux célébrissimes Docteur Folamour, 7 jours en mai et Un crime dans la tête, il faudra ajouter L'Ultimatum des 3 mercenaires – quel titre ridicule ! - parmi les grands thrillers de politique-fiction que les Américains avaient si bien réussi à trousser pendant la Guerre Froide. Sorti dans une version tronquée en 1977, le revoici dans une version inédite, augmentée de 60 minutes, et qui permet de le considérer comme un des sommets de la carrière de Robert Aldrich.

D'une étonnante modernité

Il faut dire qu'avec Aldrich, rayon paranoïa et fiction, En 4ème vitesse avait donné le la. Là, avec un de ses derniers films – lui restera Un Rabbin au Far West et Deux filles au tapis - , on retrouve certes tout ce qui fait le sel de son cinéma :- son goût pour les atmosphères viriles, claustrophobiques et paranoïaques ; sa dénonciation de l'autorité arbitraire ; son sens de la cruauté. Mais rétabli dans sa version director's cut par Carlotta, le film nous arrive tout neuf, d'une étonnante modernité de par son propos et sa réalisation.


Le pitch ? En novembre 1981, un commando prend le contrôle d'une base de lancement de missiles nucléaires américains, et menace de les déclencher. , à moins que le Président ne les laisse s'exprimer sur la réalité de la politique diplomatique et militaire des Etats-Unis. S'ensuit un suspense à haute tension, avec pour toile de fond la réalité de l'implication américaine au Vietnam.

Dénonciation des mensonges d'Etat

Aux antipodes de son ridicule titre français, son titre original Twilight's Last Gleaming (les dernières lueurs de l'aube) fait directement référence à l'hymne américain. C'est dire qu'on est très loin d'une vision anarchisante de le politique américaine ! Non, ce qui intéresse Aldrich, homme de gauche profondément amoureux de son pays, c'est la dénonciation des mensonges d'Etat et la menace nucléaire. A ce titre, le premier plan annonce tout son programme : si Robert Aldrich filme la Statue de la liberté, c'est de dos, au crépuscule. Plan qui résume à la fois son patriotisme et sa vision critique de la manière dont sont conduites les affaires de l'Etat.

Casting génial

Et au passage, il s'inscrit et réinvente tous les traumatismes politiques et fictionnels américains, l'assassinat de Kennedy en tête. Tout en proposant une vision inédite du Président, présenté non comme un sur-homme ou une icône, mais un quasi-Président normal, auquel Charles Durning prête ses traits bonhomes, à l'opposé d'un Henry Fonda ou d'un Daniel Day-Lewis. Sa force, mais aussi sa faiblesse. Car il est entouré de vieux requins, militaires, diplomates, rompus aux arcanes du pouvoir, et méfiants à l'égard des décisions iconoclastes prises par ce nouveau Président. 

Sens du casting génial chez Aldrich que d'avoir demandé à ces vieux briscards hollywoodiens que sont Joseph Cotten (L'Ombre d'un doute, Citizen Kane), Richard Widmark (Les Cheyennes, Le Port de la drogue) ou Melvyn Douglas (Ninotchka, Bienvenue Mr Chance) d'incarner ces immuables crocodiles du lobby diplomatico-militaro-industriel. Ce sont d'ailleurs ces scènes politiques, brillamment dialoguées, et vraiment subversives, et d'une brûlante actualité – comment ne pas penser à l'Irak et aux armes de destruction massives soi-disant cachées à Bagdad ? - qui ont été sacrifiées lors de la sortie du film en 1977, lui faisant perdre une grande partie de son intérêt.

Mise en scène constamment inventive

Reste aussi un fabuleux film d'action. D'une réalisation qui n'a rien à envier à 24 heures Chronos !. Car en focalisant l'action sur 3 lieux bien définis – le bureau ovale de la Maison Blanche, la salle de contrôle du bunker de l'US army, et le QG d'intervention – Aldrich invente un nouveau genre : le film d'action en huis-clos ! Ce qui a pour effet de renforcer le côté paranoïaque du film, renforcé par le fait qu'on n'y voie que des hommes ! Conséquence pratique : Aldrich fait preuve d'une ingéniosité incroyable pour démultiplier les écrans. Split screens à 2, 3 et 4 volets, caméras de contrôle, permettent au cinéaste des 12 salopards de créer une tension et de dénoncer, bien en amont de la réalité, le phénomène de télé-surveillance, tout en jouant sur l'image et les effets d'illusion qu'elle procure. 

Plus d'une fois, sur cet aspect, on songe également au dernier film d'un autre maverick d'Hollywood, Osterman week-end, de Sam Peckinpah. Ironie de l'histoire : toute cette Amérique, du Montana au bureau ovale, a été intégralement reconstituée en... Bavière ! Ce qui contribue à l'effet d'oppression et de déréalisation à l'oeuvre dans ce film.

Baroud d'honneur

Enfin, on n'a pas encore parlé de Burt Lancaster. Dans le quatrième film qu'il tourne avec Aldrich après Bronco Apache, Vera Cruz et Fureur Apache, il est le porte-parole de son réalisateur, dans le rôle de ce militaire haut-gradé, rétrogradé par les siens, condamné au silence par sa hiérarchie, qui se lance alors dans un ultime baroud d'honneur. Impossible de ne pas y voir une sorte d'auto-portrait du cinéaste, lançant là un ultime bras d'honneur aux majors qui, ironiquement, s'en prendront à son film pour le censurer et le faire taire. A noter également le plaisir de retrouver des grandes gueules dans des seconds rôles qui sentent bon les 70's : William Smith, Burt Young, Paul Winfield ou Roscoe Lee Browne.

Travis Bickle



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