Buzz : Exploitant du Regency, une salle Art et Essai d’un seul écran située en milieu rural, dans le Pas-de-Calais, Laurent Coët est également membre de l'Académie des César (lire son interview). C'est aussi un habitué du Festival de Cannes (lire son Questionnaire cannois). Nous lui avons demandé ses impressions sur le palmarès de l'édition 2015 et, plus généralement, sur la sélection.
Cineblogywood : Que penses-tu du palmarès 2015 ?
Laurent Coët : Je suis très content. Pour une fois, ça change ! L'an passé, j'étais revenu en colère car Timbuktu avait été oublié et il méritait de figurer au palmarès. Là, je trouve que le palmarès est très cohérent, même s'il n'y a pas forcément tous les films que j'aurais voulu voir primés. Mais, pour avoir fait partie d'un jury de festival de cinéma, je sais bien qu'un palmarès est le fruit de discussions. Chaque juré doit faire des concessions. Je ne suis donc pas certain que ce palmarès reflète le premier choix de chaque juré. Par ailleurs, cela montre que les critiques n'ont pas toujours raison. Si l'on se fiait aux bruits de couloir à Cannes, c'est le Nanni Moretti [Mia Madre] qui devait obtenir la Palme d'or. Cela remet tout le monde à sa place, et ce n'est pas plus mal.
Sinon, j'ai été très étonné que Dheepan remporte la Palme d'or, même si j'ai beaucoup aimé le film : les deux acteurs sont formidables, Audiard revient à un cinéma plus engagé. Ce n'est donc pas démérité. A l'opposé, le Moretti était peut-être trop attendu. Quant au prix d'interprétation masculine pour Vincent Lindon, c'était une évidence.
Selon toi, le jury présidé par les frères Coen est-il passé à côté de certains films ?
Pour moi, il y a deux oubliés. Le premier, c'est Sicario de Denis Villeneuve. J'ai été pris de A à Z. C'est plus qu'un film d'action, il y a des plans à la Michael Mann... C'est une oeuvre complètement cinématographique. L'autre oublié, c'est Le Conte des Contes de Matteo Garrone. Là encore, j'ai été emporté par ce conte pour adultes. Garrone est excessif mais il va au bout de son idée. Mais, encore une fois, je trouve ce palmarès très cohérent.
Qu'as-tu pensé de la sélection de cette 68e édition, qui a été présentée comme très ancrée dans le réel, avec une prépondérance de films dramatiques, aux sujets "lourds" ?
Au-delà des choix de Thierry Frémaux et de son équipe, la sélection reflète l'état de la production actuelle. Personnellement, je ne choisis pas d'aller voir les films en fonction de leur sujet. Au contraire, j'essaie d'en savoir le moins possible sur l'histoire, je ne lis pas les résumés. Les deux films les plus forts que j'ai vu sont Le Fils de Saul et La Loi du marché. Il n'y a pas eu de films qui m'ont ennuyé ; certes, l'ambiance était parfois lourde. Chronic [qui relate le quotidien d'un infirmier auprès de malades en phase terminale, NDLR] n'a été projeté qu'à 8h30 et 22h30 : le ressenti n'est pas le même qu'aux séances en pleine journée. Mais les films hors compétition ont apporté un peu de légèreté. Je pense à L'Homme Irrationnel, au Petit Prince ou à Vice Versa, qui a été un de mes coups de coeur. Il avait sa place en compétition officielle.
Les réactions pendant le Festival ne sont pas les mêmes que lors des sorties en salles...
Exactement. Tu enchaînes parfois trois ou quatre films par jour. La fatigue se fait sentir... Et puis, si tu adores un film lors d'une première projection, tu vas forcément moins aimer celui de la projection suivante. C'est ce qui m'est arrivé avec Mia Madre, que je n'ai pas vu dans les meilleures conditions car je sortais de la projection du Gus Van Sant [La Forêt des Songes], que j'ai adoré, et j'étais toujours dans le film. Il faut que je revoie le Moretti pour me faire une meilleure idée.
Qu'as-tu pensé des huées qui ont suivi la projection presse de La Forêt des Songes ?
J'étais horrifié. Ce n'est pas le rôle de la presse de huer ou d'applaudir. C'est au public de s'exprimer. Quand je lis que le journaliste de Télérama n'a rien aimé, pfff, je me dis que ça devient compliqué.
En tant que programmateur, quels films de la sélection vas-tu projeter au Regency ?
Mon métier, c'est comme jouer au poker. D'autant que le Regency n'a qu'une salle, il ne faut pas se tromper ! J'avais programmé La Loi du marché, qui sort ce mercredi, avant l'annonce du palmarès. Bonne pioche ! Sont également programmés, La Tête haute - quel beau film d'ouverture ! -, Trois souvenirs de ma jeunesse, que j'ai vu à la Quinzaine et qui m'a bien plu. Suivra Mon Roi, en octobre. La Palme d'or, forcément. Par contre, The Assassin n'a pas un potentiel public dans mon cinéma. La V.O. en milieu rural, ce n'est pas facile. Je verrai en fonction de la demande de nos spectateurs les plus assidus. A l'inverse, Le Fils de Saul aura sa place au Regency car il y aura de quoi faire une soirée-débat. J'essaie de prolonger un film par un débat lorsqu'il aborde un sujet fort de société. Et, cette année, les films présentés à Cannes ont de quoi provoquer des discussions !
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Anderton
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