A lire : En 1989, Do the Right Thing débarque dans les salles, et je me prends une sacrée claque. Quelle fraîcheur ! Quelle inventivité ! Quelle rage ! Présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 1989, le film de Spike Lee ne produit pas le même effet sur Wim Wenders, qui juge Mookie, le personnage interprété par Spike Lee, "peu héroïque", selon les propres mots de Lee. La Palme d'or ira à Sexe, mensonges et vidéo de Steven Soderbergh (pas scandaleux non plus). Furieux, Spike clame qu'il a écrit le nom du réalisateur allemand sur une de ses battes de baseball ! Une colère aujourd'hui passée, a assuré à The Independent le réalisateur originaire de Brooklyn alors qu'il était membre du jury du Festival de Venise 2004 et qu'un film de Wenders était en compétition !
Parfois mal aimé car souvent mal compris, Spike Lee est un cinéaste sous-estimé. Sa personnalité ou, disons-le plus clairement, sa grande gueule a éclipsé son oeuvre, pourtant riche et forte. Une injustice qu'a voulu réparer Karim Madani dans un ouvrage original, intitulé Spike Lee American Urban Story.
Slam drunk
La prose de Madani est intense, dense, rageuse, stylée - à l'image de l'oeuvre signée Spike Lee. Pas de pincettes. Il assène et enchaîne les affirmations, en laissant passer ici et là quelques imprécisions ou erreurs (Thriller sorti en 1972 au lieu de 1982, les "Show" Brothers au lieu des Shaw Brothers...). Pas par méconnaissance à mon avis, mais parce que l'auteur se laisse parfois emporter (enivrer) par son flot à l'impressionnant débit. Chaque phrase est ciselée, les idées et les mots travaillés et retravaillés, parfois à l'extrême. A l'image d'un basketteur ou d'un footballeur prodige qui pratique les dribbles et les beaux gestes à l'excès, au point de perdre parfois la balle.
Extrait : "Jamais le rap new-yorkais n'avait mieux collé à la realness des grands ensembles. Les beats claquent comme les canons des Glock, les basses rebondissent sur l'asphalte comme des douilles après une fusillade. Les artistes sont le plus souvent des nihilistes nietzschéens alcooliques et adeptes du darwinisme social". En soi, rien à redire mais à la longue, ce manque de simplicité nuit à la lecture et donc au propos.
Gonzo or not gonzo
Ce qui m'a aussi gêné, c'est le "gonzo journalisme" revendiqué en 4e de couverture de l'ouvrage. Là encore, c'est un genre qui a ses lettres de noblesse et je dois dire que l'intro du bouquin, qui relate une réunion entre Spike Lee et les dirigeants de la Warner au sujet du tournage de Malcolm X, est passionnante. Mais pour le coup, elle est complètement romancée. Pas forcément dans le fond mais dans la forme. Bon, pourquoi pas... Mais j'ai tiqué lorsque Karim Madani écrit au sujet de Will Smith : "Retourne à Bel Air, mec, pense Spike Lee". Evidemment, ce qui me gêne, c'est le "pense". Soit Spike Lee l'a dit et il faut citer la source, soit l'auteur invente et ce n'est pas bien.
Reste que, passée cette intro gonzo, toutes les citations qui suivent sont systématiquement sourcées (interviews donnés à la presse ou propos recueillis par l'auteur). C'est dire qu'il ne faut pas s'arrêter à ces imperfections car Madani nous emporte par sa sincérité et sa volonté d'expliquer l'importance de l'oeuvre de Spike Lee, mais aussi son impact dans la street culture et auprès de nombreux cinéastes, y compris Quentin Tarantino pour lequel Lee n'a pourtant pas beaucoup de considération. On prend plaisir à (re)découvrir la filmo du cinéaste sous un angle inédit, à se replonger dans le rap old school qui a rythmé nos années 90 (en tout cas, les miennes). Et surtout, on est reconnaissant à l'auteur d'évoquer des faits divers oubliés ou méconnus qui ont marquée ces décennies de tensions raciales. Tensions malheureusement toujours d'actualité. Spike Lee, cinéaste engagé ? Oui mais il ne s'agit pas d'une posture : le cinéaste s'est fait le porte-parole pas seulement d'une communauté mais d'une catégorie d'Américains défavorisés et victimes d'une oppression incessante.
Publié aux éditions Don Quichotte, Spike Lee American Urban Story plaira aux fans du cinéaste et aux amateurs de hip hop, c'est certain. Pour autant, Madani n'a pas signé un livre ghetto réservé à ceux qui baignent dans la street culture : les films, les événements, les rappeurs, la mode vestimentaire, l'argot des HLM new-yorkais... tout est clairement expliqué pour peu qu'on accepte le style de l'auteur. Rendons-lui grâce d'avoir développé cette idée originale et rédigé l'ouvrage qui manquait tant sur un grand cinéaste.
Anderton
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