samedi 30 mai 2015

This Is Orson Welles : "Orson Welles n'a jamais cessé de se battre" - INTERVIEW


A la TV : Grand visionnaire, génie du cinéma et référence absolue de bon nombre de réalisateurs, Orson Welles aurait eu 100 ans cette année. Présenté à Cannes Classics, This Is Orson Welles de Clara et Julia Kuperberg (réalistarices de Los Angeles Cité du Film Noir), le documentaire qui lui est consacré, s’attache à montrer une facette peu connue du personnage : celle d’un homme très drôle, à la fois cynique et d’une désarmante lucidité lorsqu’il fut amené à se pencher sur sa carrière. Un homme qui passa sa vie à faire ce qu’il aimait par-dessus tout, envers et contre tout, jusqu’à son dernier souffle : du cinéma.

Martin Scorsese, sa fille Chris Welles ou encore ses amis, Peter Bogdanovich et Henry Jaglom, livrent avec émotion et admiration bon nombre d’anecdotes. Les réalisatrices Clara et Julia Kuperberg nous en dévoilent un peu plus sur le mythe Orson Welles, leur passion pour le cinéma américain, les icônes hollywoodiennes et leurs projets à venir. 


Cineblogywood : Le documentaire révèle combien les choses furent difficiles pour Orson Welles, tout au long de sa carrière. Privé du final cut par les studios execs, ses films remontés à son insu, les échecs commerciaux successifs, le désaveu médiatique lorsqu’il s’attaqua à Randolph William Hearst dans Citizen Kane, la difficulté de trouver des financements pour les films suivants et les rumeurs sur ses règlements de compte par voie filmique (avec Rita Hayworth)… Etait-ce une manière de montrer à quel point le système hollywoodien peut être pervers, même pour un génie tel que lui ?
Non, le système hollywoodien a selon nous créé les meilleurs films et poussé les réalisateurs à se dépasser, des génies comme John Ford ou Alfred Hitchcock avaient appris à tourner le plus efficacement possible pour laisser le moins de latitude aux studios, n’ayant pas le final cut. Il ne faut pas oublier qu’aucun réalisateur n’avait ce final cut à l’époque. Quand Orson Welles arrive à Hollywood, la RKO lui octroit un contrat et des privilèges sans précédents. Malheureusement, Citizen Kane est un échec commercial, et donc la liberté s’arrête là. Hollywood est avant tout une industrie. 

Martin Scorsese témoigne de son admiration pour Orson Welles et explique à quel point il a influencé les réalisateurs de l’époque, par son style et son inventivité cinématographiques. Vous aviez réalisé un documentaire avec lui en 2006, Martin Scorsese, l’émotion par la musique. A-t-il de lui-même souhaité participer au documentaire ou êtes-vous allées le chercher ?
Nous l’avons contacté pour lui demander de parler de la place de Welles et de Citizen Kane dans l’histoire du cinéma et surtout de son influence sur le langage cinématographique.

Dans un passage magnifique, Orson Welles déclare : "J’ai fait une erreur en continuant à faire du cinéma. Mais c’est une erreur que je ne peux pas regretter. C’est comme si je disais, pourquoi être resté marié à cette femme ? Si je l’ai fait c’est que je l’aimais... J’aurais mieux réussi si j’avais quitté le cinéma". C’est un moment-clé de votre documentaire, un aveu poignant, appuyé par le témoignage de sa fille, Chris. On réalise à quel point il a pu souffrir de ses échecs. Etait-ce important pour vous de montrer cette facette du personnage ? Derrière la personnalité flamboyante, parfois égotique présentée ci et là ?
Notre angle était de nous focaliser sur lui en tant qu’homme à la fin de sa vie, et de retourner sur sa passion, ses échecs, ses regrets, mais aussi sur ce qu’il a apporté au cinéma. Cette interview fil rouge, que nous avons achetée à la BBC, nous a tout de suite fascinées car elle montre à quel point Welles pouvait être lucide sur sa vie, sur sa carrière, et en même temps tout cela avec énormément d’humour et de tendresse.

Le livre En tête-à-tête avec Orson, qui retranscrit ses conversations sur plusieurs années avec Henry Jaglom (qui intervient dans votre documentaire) vient de paraître. Tout comme This Is Orson Welles, il se termine sur ce fameux éclat de rire, moment heureux de complicité artistique avec Henry Jaglom, peu avant sa mort. Pourquoi avoir choisi ce moment particulier ?
Justement pour ne pas montrer un homme triste. Welles a eu plein de revers de fortune, ses films ont été mal reçus, remontés par les studios, comme pour beaucoup d’autres réalisateurs de génie, et pourtant cet homme n’a jamais cessé de se battre, jusqu’au bout, pour financer ses films et essayer tant bien que mal de monter ses projets. Quand on lit ses entretiens avec Jaglom ou Bodganovich, on découvre une facette peu connue de lui, quelqu’un de drôle, de moqueur, avec un sens de l’humour cynique et extrêmement drôle. Quand nous avons découvert le livre de Jaglom et surtout les deux films qu’ils ont fait ensemble, nous avons tout de suite voulu montrer ce qu’il arrive à capturer de Welles alors déjà presque à la fin de sa vie, et ce rire magnifique était pour nous une fin évidente. Comme le dit Jaglom : "Comme s’il faisait un pied de nez à 50 ans de problèmes".

Julia et Clara Kuperberg

Si vous aviez pu rencontrer Orson Welles, qu’auriez-vous aimé lui dire ?
Nous aurions aimé nous aussi nous asseoir à table avec lui et parler du tout Hollywood, et des films qui l’ont marqués, ce qu’il aborde rarement.

Depuis 2006, vous produisez et réalisez via votre société Wichita Films des documentaires sur le cinéma américain, Hollywood et ses icones. Que représente t-il pour vous ? Est-ce une source d’inspiration inépuisable ?
Pour nous, c’est une source infinie, et c’est une histoire qui a tendance à s’oublier. Nous avons découvert il y a peu de temps que l’histoire du cinéma n’était plus un cours obligatoire dans les facultés de cinéma américaines, et donc pour beaucoup de gens, les films de l’âge d’or américain appartiennent à un passé lointain inutile à connaître. Pour nous, à travers nos documentaires, c’est vraiment l’envie de donner envie à ceux qui ne les connaissent pas de découvrir ces films et ces réalisateurs de génie. Quand quelqu’un après avoir vu un de nos documentaires nous dit que cela lui a donné envie de voir les films dont on parle, alors là, on a gagné. Notre but est vraiment de partager cette passion et de la transmettre comme nous le pouvons.

Un prochain documentaire est-il en préparation ?
Oui, nous venons de finir pour OCS un documentaire sur la Screwball comedy, qui sera diffusée le 4 juin sur OCS Géants, puis nous en avons également deux autres à suivre sur la censure à Hollywood et le fameux code Hays, et sur les femmes de pouvoir à Hollywood depuis les années 1910 jusqu’à aujourd’hui. Nous repartons aussi en tournage en septembre tourner un portrait de l’un de nos réalisateurs préférés ; Billy Wilder, ainsi que le portrait d’une star sublime peu connue ; Gene Tierney.

This Is Orson Welles est diffusé sur TCM Cinéma le samedi 30 mai à 19h45, le lundi 1er juin à 8h50 et le lundi 8 juin à 10h45.

Joanna Wallace


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