Buzz : Première, Studio Magazine, avec Marc Esposito, c'est lui. Jean-Pierre Lavoignat, à l'occasion de la diffusion sur OCS Géants de la collection de portraits de cinéastes anglo-saxons des années 80 (découvrez notre dossier) qu'il a initiée et co-réalisée, revient sur les origines du projet, sa genèse, ses regrets et ses enthousiasmes. Merci à lui de nous avoir accordé cet entretien où brille sa flamme pour le cinéma. Celle qui a animé les années Première et Studio. Et qu'il nous a donnée en partage !
Quel a été le déclic pour la série ?
Jean-Pierre Lavoignat : On est allé voir Boris Duchesnay,, directeur des programmes d'OCS, pour lui proposer des documentaires, avec deux-trois idées dans la tête : l'une, faire un réaliser un documentaire sur Michael Cimino, l'autre, un doc sur les cinéastes britanniques des années 80 (Parker, les Scott, Joffe, Hudson, Lyne). On les avait très bien connus en tant que journalistes, on les avait toujours défendus, et on avait de très bons rapports avec eux. J'en avais revus quelques-uns au Festival de Marrakech où j'avais animé des master class. Les revoir, les entendre parler avec recul, m'a donné envie d'aller plus loin. Et Boris nous a suggéré de nous consacrer aux années 80. On a établi des listes de cinéastes.
Sur quels critères ?
Le but était de prendre des cinéastes qui ont vraiment incarné les années 80 et qui ont eu plus de mal par la suite. On a donc exclu Spielberg ou Ridley Scott dont la carrière excède les années 80, avec autant de bons films avant qu'après les années 80. Ce qu'on souhaitait, c'était des cinéastes qui ont tellement incarné les années 80 qu'ils ont eu du mal à tourner par la suite, même si beaucoup ont pu le faire sans le même succès ou la même reconnaissance. On a donc choisi les Anglais auxquels on avait d'abord pensé, puis on a établi une liste d'Américains possibles. Je vous mentirais en vous disant qu'il n'y a eu que ces dix noms !
Justement, avez-vous essuyé des refus ? Ou bien avez-vous des regrets de n'avoir pu en inclure certains ?
On a deux regrets. Michael Cimino, d'abord. C'est le premier à qui on a demandé. Et on a été trop honnêtes ! Au lieu de lui dire qu'on allait faire un doc sur lui, et seulement lui, on lui a dit qu'on allait faire un doc sur les années 80. Il a un peu tiqué ! Et quand on lui a présenté les autres réalisateurs pressentis, ça a coincé ! Il aurait souhaité Wenders, Polanski, Bertolucci, sauf qu'eux, ont continué de tourner après les années 70 ! Sa productrice nous aimait bien, on l'a relancé plus d'une fois, mais bon... L'autre regret, c'est Rob Reiner (Spinal Tap, Harry et Sally, Stand by me). Il nous a dit ni oui ni non, mais il a toujours eu des problèmes d'emploi du temps. On s'est également posé la question pour Richard Donner, Roger Donaldson, John Badham...
Qu'est-ce qui rassemble les cinéastes que vous avez retenus ?
Pas grand chose, en fait ! Ce qui pourrait les rassembler, c'est le fait qu'ils aient fait des films dans le système, tout en essayant de réaliser des films qui leur ressemblent – et même pour des films de commande. Ils sont toujours parvenus à y imprimer leur identité. Ce n'étaient ni des faiseurs, ni des auteurs purs et durs, ils étaient à mi-chemin. C'est sans doute les derniers qui ont pu agir comme cela. Hollywood entamait alors un virage. Ces cinéastes pouvaient tourner à l'intérieur du système, alors qu'aujourd'hui, il n'y en a quasiment plus, excepté les indépendants, ou les très célèbres – Scorsese, Spielberg, Tarantino. Ce que raconte le doc, c'est la fin d'une époque. Mais oui, sinon, leurs univers et leurs styles sont très différents.
Et le fait qu'ils aient tous eu une expérience à Hollywood est un autre point commun, non ?
Oui. Et d'ailleurs, ce qui m'a le plus frappé lorsqu'on leur a demandé ce qui avait changé à Hollywood depuis les années 80, c'est qu'ils aient tous cité la même chose, peu ou prou. Pour eux, le digital a changé non seulement la manière de faire des films, mais aussi les histoires qu'on raconte. Autrefois, on faisait des films qui les concernaient ou qui concernaient le quotidiens des spectateurs ; aujourd'hui, c'est la S-F ou les films de super-héros qui dominent. Du coup, ils ne se sentent pas très à l'aise. Auparavant, les patrons des studios étaient de véritables requins, mais les cinéastes les connaissaient, ils aimaient le cinéma ; désormais, ce sont toujours des requins, mais ce sont juste des financiers ou des businessmen qui vendent des films comme ils pourraient vendre des yaourts ou des voitures. C'est peut-être un peu schématique, mais tous ont cette réaction vis-à-vis de Hollywood aujourd'hui.
Quelle a été la rencontre la plus marquante ou la plus étonnante ?
Difficile à dire ! Mais il y eu des moments forts ou étonnants, comme celui où Walter Hill nous a avoué que Les Parapluies de Cherbourg était un de ses films préférés et que Jacques Demy avait été un de ses amis. Ou bien lorsqu'il parle de son père, il y a une vraie émotion qui passe. Hugh Hudson, lorsqu'il évoque Revolution, et la façon dont le tournage et l'échec commercial l'ont brisé. Les délires métaphysiques de Roland Joffé sur l'origine du monde sont très étonnants. John Landis est très émouvant à propos de l'accident sur le tournage de Twilight Zone qu'il évoque avec un faux détachement. Mais ce qui est étonnant, c'est qu'en fait, il ne répondait à aucune question : il faisait semblant d'y répondre, puis partait sur d'autres sujets, certes passionnants, mais qui n'avaient rien à voir avec nos questions. C'est le seul qui s'est intéressé à la technique, au cadre.
Et les ZAZ ?
Un moment magnifique ! Quand on les a remerciés à la fin du tournage, ils nous ont dit à quel point c'était une occasion rare pour eux de se réunir tous les trois, et le plaisir qu'ils avaient eu à se retrouver dans ce cadre. Jim Abrahams raconte même qu'il avait failli être viré d'un de leurs tournages à trois, et les autres de dire : "Mais tu ne nous l'avais jamais dit" ! Et leur chien qui passe avec sa collerette de protection : une scène qu'on aurait pu voir dans un de leurs films !
En revoyant leurs films avez-vous changé d'avis sur certains d'entre eux ?
On est surpris d'avoir constaté à quel point certains avaient bien vieilli. Fame, par exemple, tient vraiment le coup. Angel Heart, un peu moins, malgré le numéro d'acteurs. The Blues Brothers tient aussi très bien le coup, sa folie ! J'ai redécouvert L'Echelle de Jacob. J'avais le souvenir d'un film barré, mais pas avec autant de force. Ce n'est pas un film séduisant. Il ne fait rien pour attirer le spectateur. Et un film comme Liaison fatale reste très efficace : ça marche du feu de Dieu !
A quand une série sur les cinéastes français ?
On y avait pensé à un moment donné. Il y en a moins qui incarnent à ce point les années 80 : Beineix, Carax... Besson, sûrement, même s'il a continué bien après. Annaud, également. J'imagine la tête de Carax si on lui disait qu'il serait au milieu de ce groupe-là ! Ce serait le Cimino de la série !
Travis Bickle
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