Artistes : OCS Géants poursuit son voyage à travers le destin des cinéastes anglo-saxons des années 80, mené par Jean-Pierre Lavoignat et Christophe d'Yvoire, tous deux anciennement critiques du magazine phare des années 80 consacré au cinéma, Studio Magazine. Belle initiative qui permet de renouer avec la mythique série Cinéastes de notre temps. Et qui nous permet de revisiter des filmographies bien décriées en leur temps. Et dont certaines oeuvres passent allègrement l'épreuve du temps. Acte 5, ce samedi à 22h20, avec le Britannique Roland Joffé, réalisateur couronné dans les années 80 (La Déchirure, Mission), présenté comme le successeur de David Lean – abusivement ? Le point grâce à ce doc sur un cinéaste finalement rare dans les médias.
Né en 1945, issu d'un milieu artistique, Roland Joffé se destine très tôt au théâtre, notamment en tant que theatre designer. D'où son admiration pour Kurosawa, et surtout Géricault, "un peintre théâtral", reconnaît-il, et dont il fait une brillante analyse. Interrogé depuis Amsterdam, le cinéaste fait montre d'une verve sans borne sur le théâtre, la physique, et la philosophie. Comme si le cinéma, arrivé un peu par hasard dans sa carrière, l'intéressait finalement moins que la métaphysique. Pourtant, au moins dans les années 80, son cinéma fait preuve d'un puissant souffle épique, qui porte le cinéaste à se consacrer au choc des cultures. Et à poser sa caméra dans des contrées très éloignées de son Angleterre natale (Cambodge, Argentine, Etats-Unis), dont il regrette une chose : que l'art n'y puisse être pris au sérieux. Le déclic de sa vocation ? Sa rencontre avec David Puttnam.
La Déchirure (The Killing Fields, 1985). Triomphe surprise de 1985, le film, initié par David Puttnam, a pour cadre le Cambodge des Khmers rouges, et les relations qui entre un journaliste américain et son fixeur, son correspondant cambodgien. Tiré d'une histoire vraie, La Déchirure tient son succès du fait que "c'est une une histoire d'amitié, pas de guerre", d'après le cinéaste. 7 nominations aux Oscars transformées en triplé consacrent ce triomphe planétaire inattendu, dû autant à son réalisateur qu'à son producteur.
Mission (1986). Autre triomphe international, couronné par une Palme d'Or. A partir d'un scénario de Robert Bolt, le collaborateur de David Lean, Roland Joffé signe une fresque sur la colonisation de l'Amérique par les Consquitadors, dans le cadre d'une mission jésuite. Porté par le duo De Niro-Jeremy Irons, le film rencontre des difficultés de tournage liées aux difficiles relations entre les deux acteurs. Ecoutez attentivement le récit qu'en fait le cinéaste, c'est assez rare dans la profession ! Reste pour Roland Joffé une collaboration très intense avec Ennio Morricone, qui tellement ému par le film, refuse dans un premier temps d'en composer le score.
Les Maîtres de l'ombre (Fat Man and Little Boy, 1989). Echec retentissant de ce fresque plis intime qui narre comment Oppenheimer en vint à concevoir la bombe atomique pour l'armée américaine au cours de la Seconde Guerre mondiale. Une histoire très intime, reconnaît-il, sur la faiblesse d'Oppenheimer manipulé par l'armée américaine. L'une des raisons de l'échec du film tient peut-être au rôle de Paul Newman, dans celui du général Groves, le militaire manipulateur. Dommage, car ce film reste à mon sens le meilleur de Joffé.
Si sa carrière par la suite décline peu à peu, malgré de vaines tentatives prestigieuses – La Cité de la joie (1992), La Lettre écarlate (1994) Vatel (2000) – Roland Joffé continue de tourner en dehors du système hollywoodien vis-à-vis duquel il se montre peu amène. Preuve en est ses propos sur Le Hobbit : "Ce film concentre tout ce qui se fait de mauvais au cinéma". Propos suivis d'un vrai mouvement de fair play : "Mais je m'en excuse auprès de Peter Jackson". Signe supplémentaire de la qualité de cette série, sans langue de bois, et qui permet de revisiter ces années 80, sans pour autant chercher à les réhabiliter à tout crin, comme c'est le cas avec Roland Joffé...
Travis Bickle
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