En salles : "Le jury du Festival de Cannes, présidé par les frères Coen, a choisi de donner le prix d’interprétation masculine à Vincent Lindon". J’ai écrit cette phrase la veille du palmarès, en n’ayant pourtant vu que deux films de la sélection officielle (La Tête haute, et La Loi du marché, donc). Devin, le gars ? Non, mais ce résultat était comme une évidence tant Lindon est exceptionnel dans le film de Stéphane Brizé. Cette interprétation de Lindon est incontestablement l’atout majeur de La loi du marché, qui a cependant d’autres qualités. Voici trois raisons de courir aller voir ce film, qui figurera, c’est certain dans mon top 10 de l’année.
1) La justesse de Vincent Lindon
De toutes les scènes, de quasiment tous les plans, Lindon est éblouissant de justesse dans le rôle de Thierry quinqua, père d’un enfant handicapé, qui accepte un travail de vigile dans un supermarché après plusieurs mois de chômage. Qu’il soit filmé de dos, de côté, de travers (c’est clair, il a le touché nique ta mère), parfois simple silhouette floutée au premier plan, il arrive à faire passer des émotions extrêmement fortes, dans un jeu tout en sobriété. Etre aussi expressif en étant filmé de dos, c’est la marque des grands : on pense à Olivier Gourmet dans Le Fils, ou dans un registre différent, à Russell Crowe dans Révélations.
A 55 ans, Lindon n’a jamais été aussi bon. Cassé, maltraité, abîmé, Thierry, son personnage, est toujours debout. Prêt à faire des compromis, certes. Mais, finalement, pas à se compromettre. Dans une dernière scène aussi simple que puissante, il incarne la droiture et dignité. Est-ce Brizé qui lui fait un cadeau avec ce rôle qui lui convient parfaitement ? Ou lui qui en fait un au réalisateur ? Les deux, évidemment ! Sa palme d’interprétation est 1000 fois méritée !
Disons le tout de suite, la place qu’occupe Lindon ne laisse que peu d’espace aux seconds rôles. Pourtant, c’est l’ensemble du casting qui est très bon, à commencer par Karine de Mirbeck, qui joue la femme de Thierry. Et les nombreux acteurs non professionnels sont très bien dirigés.
2) La clarté du récit
Autre atout du film, son fil narratif, qui se déroule de manière simple mais précise. D’une scène à l’autre, Brizé fait avancer son récit, tout en suggestions limpides. Il ne montre que l’essentiel, et se débarrasse du superflu. Inutile de montrer le moment où Thierry décroche son job : la première scène où on le voit en uniforme dans le supermarché se suffit à elle-même ! Un très bon travail de montage, donc, pour un film de 1h33 où toutes les scènes ont leur utilité.
3) Le parti pris réaliste
Enfin, La loi du marché prend le parti du réalisme, et on flirte parfois avec le documentaire : c’est à la fois juste, sobre, et puissant. La force du film est de faire ressortir la charge émotionnelle de petites scènes simples et a priori anecdotiques : violence sociale lors d’un rendez-vous à la banque, d’un entretien d’embauche sur Skype, ou d’une négociation autour de la vente d’un mobil-home ; tendresse et complicité dans les scènes de danse entre Thierry et sa femme.
Acting, clarté du récit, et force du réalisme, la mise en scène de Stéphane Brizé est une vraie réussite. Par ailleurs, La loi du marché nous rappelle ce qui fait la valeur d’un homme. Et nous montre qu'une ligne étroite, seulement, sépare un salaud d’un héros.Nulle saloperie, a priori, pour une employée de banque qui conseille à son client de vendre son appartement et de prendre une assurance vie pour "être rassuré". Pas de méchanceté chez les co-stagiaires de Thierry qui évaluent son exercice d’entretien filmé, ni chez ce couple qui essaye de faire baisser le prix du mobil-home qu’ils cherchent à acheter. Pourtant, ces comportements "normaux" de gens ordinaires peuvent devenir dégueulasses en fonction du contexte, celui d’un homme en proie à une grande fragilité sociale. A l’inverse, le choix que prend Thierry à la toute fin du film, en fait un véritable héros des temps moderne. Cette employée de banque, ces stagiaires à la recherche d’un emploi, ce couple d’acheteur, mais aussi Thierry, c’est vous, c’est moi, c’est nous. Le film de Brizé nous fait comprendre comment des petites choses, des petites phrases, des gestes, même, apparemment anodins peuvent faire de nous des héros, ou des salauds. La Loi du marché rappelle l’importance de la bienveillance, de la considération de tous, et du respect. Ces valeurs qui se conjuguent pour faire la valeur d’un homme, The Measure of a man, le titre en anglais de l’excellent film de Stéphane Brizé.
Fred Fenster
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